Ce que l'intelligence n'est plus
On lit un peu de tout et pas mal de n’importe quoi au sujet de l’IA ces derniers temps. J’ai donc décidé d’apporter ma modeste pierre à l’édifice et de publier quelques textes à ce sujet. Docteur en IA, ayant fait de la recherche dans ce domaine de 1998 à 2003, et ayant enseigné cette matière en école d’ingénieurs de 2004 à 2010, je suis outillé pour comprendre de quoi on parle. Actuellement, je suis toujours avec intérêt ce qui se passe dans le domaine, mais de plus loin. Cela me donne un recul que n’ont pas certains spécialistes actuels de la branche, alors qu’eux sont imbattables sur les détails des développements récents. J’espère donc que mon éclairage atypique pourra aider quelques personnes à y voir plus clair dans ce sujet actuellement très chaud.
Ce premier texte de la série amène quelques réflexions sur la définition de l’IA.
Intelligence artificielle…
Deux mots qui font couler beaucoup d’encre
qui créent des espoirs fous et des peurs insensées
qui promettent des lendemains qui chantent
ou un avenir maudit.
Plus un produit ne peut se vendre
sans qu’il ait été conçu par l’IA
ou qu’il fonctionne grâce à elle.
Les chaussettes, les voitures, le service après vente,
jusqu’aux sex toys, rien n’y échappe,
tout est intelligençartificiellisé.
Pourtant une chose me frappe:
Si tout le monde en parle
peu de monde semble se poser la question
de ce qu’est vraiment l’IA.
Marvin Minsky, l’un des pionniers de l’intelligence artificielle, en a proposé en 1956 la définition suivante:
La construction de programmes informatiques capables d’accomplir des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisantes par des êtres humains.
Cette définition a l’avantage d’être très générale et correspond assez bien à l’intuition que l’on peut avoir de ce concept. Mais c’est pourtant une définition paradoxale ou, pourrait-on dire, une définition hara-kiri. En effet, chaque succès de l’IA sort automatiquement de cette définition: si une machine parvient à faire aussi bien qu’un humain pour une tâche donnée, cette tâche n’est plus “pour l’instant accomplie de façon plus satisfaisante par des êtres humains”, et donc ce n’est plus de l’IA.
De fait, cela va même plus loin: chaque fois qu’une machine arrive à remplir une tâche que l’on considérait comme nécessitant de l’intelligence, on contemple le résultat et on se dit: “ça ne peut quand même pas être ça, l’intelligence…”
En contemplant l’histoire de cette discipline durant les dernières décennies, on pourrait donc tenter la définition suivante: l’IA, c’est ce que l’intelligence n’est plus.